Remémorons-nous les promesses de nos dirigeants, qui ont présidé aux destinés du pays au nom de la légitimité historique, encore quand certains évoquent récemment pour ceux qui veulent bien les entendre, la fin de l’Etat de la mamelle, puis celle de la légitimité révolutionnaire.Cela signifie surtout que le pouvoir bienfaisant ou de bienfaisance inauguré comme contrat politique implicite par les tenants du socialisme de la mamelle afin de légitimer l’échange d’une partie de la rente contre la dépendance et la soumission politique et qui efface tout esprit de citoyenneté active, ce pouvoir doit céder la place à un pouvoir juste, justicier et de justice.Or, après 46 ans d’indépendance, quelle est la situation de l’Algérie à la veille de l’anniversaire du 05 Juillet 2008 d’autant plus que le nouveau Chef de gouvernement Ahmed Ouyahia vient de dresser un tableau très mitigé, voire alarmant, de la situation socio-économique contredisant les déclarations euphoriques de certains ministres, analyse que je partage depuis plusieurs années comme je l’ai démontré dans deux récentes interviews, l’une au quotidien arabophone Djazair New’s le 25 juin 2008 à l’occasion de la nomination de Ahmed Ouyahia Chef de gouvernement : «le programme économique présidentiel accuse un important retard avec un gaspillage des ressources financières et il y a forte probabilité qu’il ne sera pas terminé le 08 avril 2009», et l’autre à la télévision internationale française France 24 le jeudi 03 juillet 2008 « il n’y a pas de corrélation entre l’aisance financière due non pas à une bonne gouvernance interne mais aux hydrocarbures, le niveau de développement et le niveau du pouvoir d’achat des Algériens » (1). 1- Souvenons-nous de la domination idéologique du communisme, l’hymne à la liberté chantée en I962 dans les rues de l’ensemble de l’Algérie indépendante, les espoirs suscités par le socialisme spécifique à l’algérienne, l’autogestion des domaines des colons qui devait élever la production, restituer les paysans dans leur dignité et lutter contre l’injustice. Le 19 juin I965, le Président élu auparavant est destitué et c’est le discours du sursaut révolutionnaire du fait que l’Algérie serait au bord de la faillite.. Il fallait la redresser, grâce à un pouvoir fort qui résiste aux événements et aux hommes, à travers trois axes, la révolution industrielle, la révolution agraire, et la révolution culturelle, en prenant comme base le plan économique du programme de Tripoli qui repose sur la dominance du secteur d’Etat, comme fer de relance de l’économie nationale, à travers les grosses sociétés nationales. Ce sont les discours triomphants de construction des usines les plus importantes du monde, du bienfait de la révolution agraire, garantie de l’indépendance alimentaire, de l’école et de la santé pour tous et de la promesse solennelle que nous deviendrons horizon 1980 le Japon de l’Afrique avec les lancements du plan triennal 1967-1969, du premier quadriennal 1970-1973 et du second quadriennal 1974-1977. Rappelons-nous ces discours de la vertu des fameuses industries industrialisantes et au niveau international, l’Algérie leader du nouvel ordre économique international sans sa lutte contre l’impérialisme cause fondamentale du développement du sous-développement. 2 - Et voilà qu’après la mort du Président après une longue maladie et c’est la venue d’un nouveau président en 1980. Nous apprenons que cette expérience a échoué et que la période passée était une décennie rouge avec l’époque de la Cour des Comptes et du procès de la Révolution agraire. Les nombreuses commissions dont les résultats sont jetés dans les tiroirs après des exploitations politiques contribueront à ces dénonciations. Le bonheur passe dorénavant,... par le programme anti-pénurie, l’acte de consommation devant devenir l’acte cardinal (construction sur tout le territoire national des souk el fellah), l’Algérie ne connaissant pas de crise économique, selon les propos télévisés d’un ex-Premier ministre, qui touchait en ces moments les pays développés avec un baril en termes de parité de pouvoir d’achat 2008, équivalent à 80/90 dollars. C’est alors l’application mécanique des théories de l’organisation, car les grosses sociétés nationales ne seraient pas maîtrisables dans le temps et l’espace, et l’on pratique le découpage de ces sociétés nationales. Mais la population algérienne contemple en 1986, l’effondrement du cours du pétrole, les listes d’attente et l’interminable pénurie : et c’est toujours la faute de l’extérieur, de cet impérialisme, ce chat noir dans un tunnel sombre que l’on ne voit pas.Et voilà que nous avons un autre discours : les Algériens font trop d’enfants, ne travaillent pas assez, aux premières ébauches de l’autonomie des entreprises publiques avec la restructuration organique. L’on fait appel à la solidarité de l’émigration que l’on avait oubliée. Il s’ensuit l’effondrement du dinar dont on découvre par magie que la parité est fonction du cours du dollar et du baril de pétrole et non au travail et à l’intelligence seules sources permanentes de la richesse, car depuis 1963, l’on avait confondu bonne gestion avec les dépenses monétaires sans se soucier de l’acte de gestion. On loue alors les vertus du travail, de la terre, l’on dénonce les méfaits de l’urbanisation, du déséquilibre entre la ville et la campagne, et l’on redécouvre les vieux débats entre partisan de l’industrie lourde qui serait néfaste et les bienfaits de l’industrie légère et la priorité à l’agriculture dont on constate le niveau alarmant de la facture alimentaire. Et comme par enchantement, c’est le slogan de l’homme qu’il faut à la place qu’il faut et au moment qu’il faut. 3- Octobre I988 contredit ces discours populistes, et c’est le début timide d’une presse libre et d’un multipartisme que l’on tente de maîtriser par l’éclosion de Partis (une famille pouvant fonder un parti avec des subventions de l’Etat) avec la naissance d’une nouvelle Constitution en 1989 qui introduit des changements fondamentaux dans notre système politique qui avait un caractère monocratique depuis l’indépendance en consacrant l’existence du multipartisme, conférant ainsi à notre système politique un caractère pluraliste. Elle était cependant porteuse d’une vision hybride de la société, dans la mesure où des catégories et des éléments de son discours renvoyaient à des options politico-économiques et politico-idéologiques contradictoires.Sur le plan économique, entre I989-I990 c’est l’application des réformes avec l’autonomie de la Banque centrale, la tendance à la convertibilité du dinar, la libéralisation du commerce extérieur, une tendance à l’autonomie des entreprises et l’appel, très timidement, à l’investissement privé national et international sous le slogan secteur privé facteur complémentaire du secteur d’Etat, après le socialisme spécifique, c’est le slogan ‘économie de marché étatique spécifique à l’algérienne avec la dominance du secteur d’Etat soumis à la gestion privée, en oubliant que l’économie de marché concurrentielle a ses propres règles à savoir une véritable démocratisation économique, politique et sociale, une autonomie dans la gestion des entreprises avec la dominance du secteur privé national ou international.. Effet de la crise économique, nous assistons à une crise politique sans précédent, crise accélérée par des élections législatives, coordonnées par un nouveau Chef de gouvernement issu des hydrocarbures des émeutes dont l’aboutissement sera la démission de ce Président après plus d’une décennie de pouvoir. Le procès est fait cette fois à la décennie noire de 1980/1990. Et c’est la liste interminable de Chefs de gouvernement et de ministres, changement successif dû à la profonde crise qui secoue le pays. 4- C’est la naissance du Haut Comité d’Etat (HCE), la venue d’un historique et figure charismatique qui donnera une première lueur d’espoir, présidera à peine une année le HCE avant d’être assassiné, son remplacement par un autre membre du HCE, avec parallèlement, un Conseil consultatif faisant oeuvre de Parlement désigné. L’on rappellera comme Chef de gouvernement le père de l’industrie lourde des années I97O, qui prônera l’économie de guerre mais avec son départ rapide du fait de la cessation de paiement. Lui succèdera un Premier ministre membre du HCE artisan du programme de Tripoli, qui signera l’accord de rééchelonnement avec le FMI, démissionnant tout juste après, l’Algérie étant en cessation de paiement n’ayant pas de quoi acheter un kilo de farine. La période qui suit verra un chef d’Etat avec un Parlement de transition à savoir le CNT (Conseil national de transition) combinaison d’associations et de partis politiques. Viendrons les élections de ce Président axé sur le rassemblement, pour sortir le pays de la crise et une nouvelle Constitution. Et une nouvelle constitution (1996) qui va s’attacher à éliminer les éléments de dysfonctionnement que la Constitution de 1989 a introduit dans le système politique et encadrer de manière sévère les mutations que je viens de rappeler. Elle crée la seconde Chambre, dite Conseil de la Nation, et par le truchement de l’article 120, lui donne pratiquement le pouvoir de bloquer un texte de loi voté par l’APN. Mais nous sommes toujours dans la même ambiguïté politique en maintenant le caractère dual de l’Exécutif, tout en consolidant le système de Conseils existants dont l’institution d’un Haut Conseil Islamique et d’un Haut Conseil de Sécurité qui est présidé par le président de la République.C’est à cette période que naît le Parti: le Rassemblement national démocratique ( R.N.D), dont le fondement du discours est la lutte antiterroriste qui raflera presque tous les sièges en 8 mois d’existence tant de l’APN que du Sénat au détriment du Parti FLN et qui provoquera par la suite des protestations interminables et une commission sur la fraude électorale dont les conclusions ne verront jamais le jour.Dans la foulée, la venue de deux Chefs de gouvernement dont le premier technicien pratiquera le statut quo et le second fera le sale boulot par l’application des accords du FMI qui aura à son actif le cadre macro-économique stabilisé actuellement mais des retombées sociales négatives du fait de la douleur de cet ajustement. Ce président démissionne et des élections sont programmées le 08 avril I999 avec l’élection d’un Président qui promet de rétablir l’Algérie sur la scène internationale, de mettre fin à l’effusion de sang et de relancer la croissance économique pour atténuer les tensions sociales qui sera matérialisé pus tard par le référendum sur la réconciliation nationale avec un vote massif en faveur de la paix. Aussi, la période 1999/2004 a été consacrée surtout à l’aspect de stabilisation sécuritaire et politique, le pré-programme de relance ayant atteint 7 milliards de dollars US. Un Chef de gouvernement est nommé après plus de 8 mois d’attente, mais son mandat sera de courte durée à peine une année du fait des conflits de compétences. Un second Chef de gouvernement est nommé, mais qui démissionne, tout en se présentant candidat à la présidence avec comme conséquence une dualité dans les rangs du FLN dont il est tissu. Il est remplacé par le Secrétaire général du RND chargé de préparer les élections du 08 avril 2004. 5- Ces dernières sont largement remportées par le précédent Président. Dès lors, les promesses entre 2004/2009 sont surtout le développement économique et social du pays avec sa nécessaire moralisation du fait que l’Algérie durant une décennie sanglante où le fondement de l’Etat était menacé avec des destructions massives d’infrastructures, sans compter des dizaines de milliers de morts, l’Etat ayant été absent cela ayant favorisé bon non nombre de malversations. Aussi, la période de 2004 à 2009 devait être consacrée à asseoir un Etat de droit avec la réforme des institutions, du système financier poumon des réformes, du secteur agricole et l’accélération des privatisations. L’objectif était une dynamisation de la production et des exportations hors hydrocarbures.Un nouveau programme de soutien à la relance économique est programmé entre 2004/2009 passant successivement de 55 à 100 pour atteindre 190 milliards de dollars US fin 2009 grâce à l’embellie pétrolière (déclaration du ministre des Finances fin juin 2008) et non à une bonne gouvernance interne les dépenses monétaires primant. Car, l’on se rendit compte du fait de la mauvaise gestion à tous les niveaux, les effets escomptés ne sont pas proportionnels aux dépenses avec une corruption socialisée (en précisant que la corruption a toujours existé depuis l’indépendance politique), ce qui a fait dire aux observateurs que le risque est de passer de l’ancien terrorisme à un autre - entendu la corruption - plus mortel pour le pays. C’est dans ce cadre, assistant à une relative aisance financière (plus de 120 milliards de dollars de réserve de change fin juin 2008, allant dans quelques mois à 200 milliards de dollars US et un stock de la dette inférieur à 5 milliards de dollars) une régression économique (exportation hors hydrocarbures inférieure à 2 % du total et un taux de croissance de 1,6 % en 2006, inférieur à 3 % en 2007, idem certainement pour 2008, contre plus de 5 % entre 2003/2005) et une régression sociale (un accroissement du taux de chômage selon l’organe officiel ONS passant de 11,6 % à près de 14 %, beaucoup plus selon les organismes internationaux) avec des tensions de plus en plus criardes avec le retour de l’inflation - plus de 5 % selon l’officiel en 2007, 12 % selon certains organismes internationaux contre moins de 3 % entre 2002/2006) et donc la détérioration du pouvoir d’achat de la majorité avec une nette concentration du revenu au profit d’une minorité de couches rentières, qu’est désigné la fin du premier semestre 2006 un autre Chef de gouvernement secrétaire général du FLN, ce Parti avec les élections successives étant devenu majoritaire tant au niveau de l’APN que du Sénat afin de stabiliser le corps social ayant assisté d’ailleurs à une petite revalorisation des fonctionnaires.Mais la régression économique et sociale continuant comme démontré précédemment, amplifiée par le statu quo, le manque de visibilité et de cohérence dans la démarche de la politique économique et sociale, le 23 juin 2008, le Chef de gouvernement issu du FLN, bien que majoritaire aux deux Chambres est remplacé à nouveau par le secrétaire général du RND, avec peu de modification puisque l’ancien Chef de gouvernement n’a pu nommer aucun ministres entre mai 2006 et juin 2008, (assistant d’ailleurs à la même composante à quelques variantes près depuis 9 années, idem pour les walis et les postes clefs de l’Etat). Ainsi, le Chef de gouvernement nommé le 23 juin 2008 retrouve son ancienne équipe. Quel temps reste-t-il pour concrétiser le programme du président de la République tenant compte de l’élection présidentielle le 08 avril 2009. Si l’on soustrait les trois derniers mois consacrés à la campagne, les deux mois d’été, et le mois de Ramadan, sans compter la problématique de la révision constitutionnelle, par voie référendaire ou voie parlementaire sachant que les deux Chambres sont peu représentatives avec un taux d’abstention dépassant les 60 % lors des dernières élections ?Et surtout assisterons-nous à une véritable élection démocratique avec des candidats crédibles pour crédibiliser tant l’action interne qu’internationale de l’Algérie ? La question centrale qu’il convient de se poser est la suivante : les objectifs ont-ils été atteints ? Car les bilans physiques sectoriels sont peu significatifs, sans analyse des coûts réels, des impacts économiques et par couches sociales, et sans un bilan des réformes de fond à savoir les réformes micro-économiques et institutionnelles, sans lesquelles le cadre macro-économique stabilisé serait éphémère, avec le retour inévitable à l’inflation et l’accélération du chômage. Le constat à travers ce cheminement historique est que durant cette période de transition interminable depuis 1986 et que les réformes tant politiques qu’économiques sont timidement entamées, malgré des discours apparemment démocrates, libéraux, et moralisateurs que contredisent journellement les pratiques sociales.Les banques, lieu de distribution de la rente, continuent de fonctionner comme des guichets administratifs, la privatisation et le partenariat comme moyens d’investissement et de valeur ajoutée piétinent faute de cohérence et de transparence, la facture alimentaire continue d’augmenter malgré le PNDA dont il conviendra de faire le bilan malgré des dépenses colossales, la bureaucratie et l’Etat de non droit continuent de sévir. Comme conséquence, résultats de la pratique de plusieurs décennies et non seulement de la période actuelle, nous assistons à des tensions sociales contre la hogra - la corruption, la malvie, d’une jeunesse dont le slogan « nous sommes déjà morts », ce qui traduit l’impasse du système économique à générer une croissance hors hydrocarbures, seule condition d’atténuation de ces tensions sociales croissantes : le blocage n’est-il pas d’ordre systémique ? (1) Abderrahmane Mebtoul interview exclusif au quotidien arabophone Djazair New’s le 25 juin 2008 à l’occasion de la nomination de Ahmed Ouyahia Chef de gouvernement : « le programme économique présidentiel accuse un important retard avec un gaspillage des ressources financières et il y a forte probabilité qu’il ne sera pas terminé le 08 avril 2009 » interview à la télévision internationale française France 24 le jeudi 03 juillet 2008 « il n’y a pas de corrélation entre l’aisance financière due non pas à une bonne gouvernance interne mais aux hydrocarbures, le niveau de développement et le niveau du pouvoir d’achat des Algériens ».
par Abderrahmane Mebtoul - Expert International