La clé, c'est la dignité, pierre angulaire de l'âme sahraouie. Au fond, ces gens se sentent méprisés par les Marocains. Il faut à tout prix leur prouver qu'ils ont tort.Il y a, dans l'extrême sud-ouest de l'Algérie, à moins de 100 kilomètres de la frontière marocaine, près de 160 000 personnes qui nous détestent de tout leur cœur. Qui nous considèrent comme des envahisseurs, des colons, des diables aux grandes dents qui les ont privés de leur terre, et par la faute desquels ils sont parqués, depuis 33 ans, dans de sordides bidonvilles en plein désert. Bien sûr, les officiels du Polisario que nous avons rencontrés à Tindouf n'ont cessé de nous répéter, tout au long de notre séjour : “Nous n'avons aucun problème avec le peuple marocain, notre problème est avec le système”. Mais qu'espèrent-ils, au juste ? Que nous allons renverser notre “système”, et que le peuple marocain “libéré” de la monarchie va tout de suite accorder l'indépendance au Sahara, dans un grand élan révolutionnaire et fraternel ? Même à Tindouf, personne n'y croit. Du reste, ce ne sont là que paroles d'officiels. La vérité, c'est bien connu, sort de la bouche des enfants. Et les enfants des camps, à chaque fois que nous les avons rencontrés et que nous leur avons dit être Marocains, nous ont regardés avec de grands yeux effrayés, avant de nous menacer de nous “casser la tête”. Bien sûr que ces gens ont un problème avec le peuple marocain ! Brahim Ghali, ambassadeur à Alger du “gouvernement sahraoui en exil”, nous a d'ailleurs déclaré, lucide, que ce qui l'attriste le plus, c'est “le silence du peuple marocain sur cette tragédie”.C'est peut-être, Monsieur l'ambassadeur, que le peuple marocain voit les choses autrement. Le peuple marocain (dont l'auteur de ces lignes) est intimement convaincu que le Sahara lui appartient. Et pas forcément pour des raisons historiques, car chaque camp réécrit l'Histoire comme ça l'arrange et que les peuples, des deux côtés, ne sont pas dupes. N'en déplaise à M. Ghali, les Marocains aussi ont vécu une tragédie : des milliers de morts au combat, des milliers de prisonniers humiliés, une guerre terrible et opaque, au plus fort du silence de plomb des années Hassan II, des réformes démocratiques sans cesse repoussées au nom d'une “cause sacrée” qu'il était interdit de débattre… Sans oublier le gigantesque sacrifice financier que tout cela a nécessité, payé de notre poche, la vôtre et la mienne, pendant plus de 30 ans. Dire aux Marocains après tout cela qu'ils doivent renoncer au Sahara, immense territoire qui fait la moitié de notre espace vital national, pour en remettre les clés à une population moins nombreuse que celle du quartier casablancais du Mâarif…relève assurément de l'absurde. Penser que les Marocains l'accepteraient, c'est s'aveugler.De l'autre côté, continuer à affirmer, la tête dans le sable saharien, que “la population séquestrée de Tindouf ne rêve que de regagner la mère patrie”… c'est s'aveugler tout autant. Oui, quelques ralliés ont rejoint le Maroc. Mais combien sont-ils, au total, rapportés à la population des camps ? Une minorité plus qu’infime. Oui, la vie dans les camps est dure. Mais les gens qui y vivent sont fiers, et ils apprennent dès le berceau à croire en leur cause dur comme fer. Pour eux, pas de place au doute : le Sahara occidental est leur “nation spoliée”, et jamais ils ne renonceront à y revenir “libres”. Le référendum d'autodétermination leur semble une solution honorable - parce qu'ils sont convaincus de le remporter s'il a lieu. Et s'ils le perdent ? Les officiels se disent prêts à accepter le verdict démocratique avec grâce. Les jeunes, eux, qui représentent la très grande majorité du peuple des camps, disent qu'ils préféreraient se perdre dans le désert, armes à la main, plutôt que “se rendre”.Cul de sac ? Positions inconciliables ? Pas forcément. La clé, c'est la dignité, pierre angulaire de l'âme sahraouie. Au fond, le problème de ces gens, c'est qu'ils se sentent méprisés par les Marocains. Nous devons à tout prix leur prouver qu'ils ont tort. Là est l'issue. Ils méritent d'autant plus notre respect, d'ailleurs, qu'avec une armée pouilleuse sans autre réel avantage qu'une base arrière sûre (l'Algérie), ils ont donné le tournis à notre armée, dix fois plus grande, plus riche, et plus expérimentée que la leur. A tel point que nous avons dû construire un mur géant pour nous protéger de leur harcèlement militaire - c'est ce qui nous a finalement permis de sécuriser notre territoire, et remporter la guerre.C'est un autre mur que nous devons aujourd'hui faire tomber : celui de la hogra (le mépris). Ce sera dur parce que c'est culturel, chez nous, et que la hogra s'applique à tous les Marocains, les Sahraouis comme les autres. Mais nous sommes sur la bonne voie car les libertés, cahin caha, gagnent du terrain. Nous devons poursuivre, accélérer sur cette voie. Donner plus de libertés encore à “nos” Sahraouis - y compris dans l'expression de leurs divergences politiques, quitte à ce que ça aille jusqu'à l'indépendantisme. Après tout, il y a des partis indépendantistes basques et catalans, et l'Espagne n'en est pas moins forte et unie. Cessons de brider ces gens et, au contraire, donnons-leur de bonnes raisons de nous aimer. L'autonomie est une très bonne idée. Appliquons-la sans attendre le résultat de douteuses négociations. Faisons-les se sentir chez eux - au Maroc. Et peut-être qu'après un certain temps, il n'y aura plus besoin de référendum. Ou alors que nous finirons par en accepter le principe. Parce que nous serons, cette fois, sûrs de le gagner.
Ps : Un certain nombre de spéculations se sont épanouies dans la presse, la semaine dernière, pendant que Mehdi Sekkouri Alaoui et moi-même étions à Tindouf, selon lesquelles nous aurions “demandé la permission des autorités marocaines” avant de partir là-bas. C'est faux, mensonger, et insultant pour notre indépendance professionnelle. D'ailleurs, pour tout dire, nous appréhendions un peu notre retour. Mais nous avons été très agréablement surpris, une fois à Casablanca, de n'avoir eu à répondre aux questions de personne - ni à l'aéroport, ni tout au long de la semaine durant laquelle ce numéro spécial de TelQuel a été préparé. Un bon point en faveur de notre système - et une excellente preuve de maturité démocratique à faire valoir face aux Sahraouis, de Laâyoune comme de Tindouf. Nul doute que ça les fera réfléchir sur ce qu'est devenu le Maroc, aujourd'hui…
Ps : Un certain nombre de spéculations se sont épanouies dans la presse, la semaine dernière, pendant que Mehdi Sekkouri Alaoui et moi-même étions à Tindouf, selon lesquelles nous aurions “demandé la permission des autorités marocaines” avant de partir là-bas. C'est faux, mensonger, et insultant pour notre indépendance professionnelle. D'ailleurs, pour tout dire, nous appréhendions un peu notre retour. Mais nous avons été très agréablement surpris, une fois à Casablanca, de n'avoir eu à répondre aux questions de personne - ni à l'aéroport, ni tout au long de la semaine durant laquelle ce numéro spécial de TelQuel a été préparé. Un bon point en faveur de notre système - et une excellente preuve de maturité démocratique à faire valoir face aux Sahraouis, de Laâyoune comme de Tindouf. Nul doute que ça les fera réfléchir sur ce qu'est devenu le Maroc, aujourd'hui…
Ahmed R. Benchemsi/TELQUEL (SEBASTIEN MICKE/PARIS MATCH)
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