Du jamais vu depuis l'irruption du conflit du Sahara occidental, un média marocain a choisi d'envoyer une équipe dans les camps de Tindouf «au coeur du Polisario». Flanqué d'un reporter-photographe, le directeur de l'hebdomadaire «Telquel», Ahmed Reda Benchemsi y a séjourné du 10 au 13 juin. De «découvertes en révélations», il a passé quatre jours à observer la quotidienneté de la «hmada», à prendre la température de la vie sahraouie et à soumettre à l'exercice de la question-réponse les responsables du Polisario et de la RASD. Le tout a été mis en ligne, samedi, sur le site du journal. «Telquel» est le seul titre marocain avec «Le Journal hebdomadaire» à avoir décidé, du vivant de Hassan II déjà, à ouvrir audacieusement les pages des années noires du royaume. Il est également le seul avec le titre fondé par Aboubakr Jamaï à pointer les tabous et à se saisir des sujets qui fâchent. Au risque de susciter l'ire du Palais et de subir le harcèlement de la justice. De cette «première» dans les camps de Tindouf, «Telquel» a tiré un «reportage exclusif» de 18 pages, quasiment l'essentiel de la surface rédactionnelle du journal. Parti avec le sentiment d'un Marocain «intimement convaincu» de la marocanité du Sahara occidental, Ahmed Reda Benchemsi est retourné au bercail avec le même sentiment. Pour autant, à contre-courant du discours médiatique marocain, il cultive une matière qui met à mal le récit en vogue. Dès l'éditorial «Voir Tindouf et souffrir» -, Benchemsi bouscule une idée reçue, agitée comme une pièce à conviction par les communicants locaux et étrangers du Makhzen. «(...) Continuer à affirmer, la tête dans le sable saharien, que �'la population séquestrée de Tindouf ne rêve que de regagner la mère patrie'... c'est s'aveugler tout autant. Oui, quelques ralliés ont rejoint le Maroc. Mais combien sont-ils, au total, rapportés à la population des camps ? Une minorité plus qu'infime. Oui, la vie dans les camps est dure. Mais les gens qui y vivent sont fiers, et ils apprennent dès le berceau à croire en leur cause dur comme fer. Pour eux, pas de place au doute: le Sahara occidental est leur �'nation spoliée', et jamais ils ne renonceront à y revenir �'libres'. Le référendum d'autodétermination leur semble une solution honorable - parce qu'ils sont convaincus de le remporter s'il a lieu». De bout en bout du voyage, les envoyés spéciaux de l'hebdomadaire se sont comportés comme des journalistes à part entière. Comme toute équipe de presse qui débarque dans les zones de conflit, la mission de Telquel n'a pas été maîtresse de bout en bout de son agenda. A l'évidence, leurs guides sahraouis se sont employés, comme sous toutes les latitudes, à leur vendre telle séquence au détriment de telle autre. En professionnels soucieux de faire correctement leur travail, ils ont visiblement veillé - et réussi - à s'y conformer. Ils ont, premier exemple, mis à rude épreuve le chef du Polisario, en le soumettant à nombre de questions pas forcément bonnes à entendre par les maquisards. Autre exemple: sitôt arrivés dans les camps, ils ont demandé à voir Bachir Mustapha Sayed, l'ex-numéro «deux» du Front. L'homme s'est éclipsé de la scène depuis le printemps 2000, peu après avoir conduit la délégation du Polisario aux négociations directes de Londres. La tradition orale et le «bouche-à-oreille» chère aux confins sud de la Méditerranée lui ont taillé une somme de statuts. A en croire les dires, il est en stand-by tantôt aux Iles Canaries, tantôt en Mauritanie voisine. D'autres ont évoqué un «retraité» frontiste reconverti à l'élevage des chameaux. «Même s'il n'a jamais cessé de défendre le droit du peuple sahraoui à l'autodétermination, un désaccord fondamental l'oppose manifestement à Mohamed Abdelaziz», croit savoir l'envoyé spécial de «Telquel». Depuis huit ans, «il n'est plus impliqué dans aucune activité diplomatique d'envergure. Lui-même déclare vivre une �'traversée du désert'». Face à un homme reçu autrefois par le roi Hassan II à la faveur de la seule rencontre connue entre le Polisario et le Palais, Ahmed Réda Benchemsi n'a pas résisté à la tentation d'une question. Est-ce librement et de votre plein gré que vous n'avez pas quitté Tindouf depuis 2000 ? Réponse du frère du fondateur du Polisario: «Oui et non. C'est de mon plein gré parce que j'estime n'avoir rien à dire, vu l'évolution de la situation; et ce n'est pas de mon plein gré à cause, disons, des pesanteurs politiques du moment». L'hebdomadaire marocain y voit une «réponse bien énigmatique». Bachir Mustapha Sayed serait-il en résidence surveillée ? «Rien ne permet de l'affirmer avec certitude. Mais ça ressemble beaucoup».
Van Walsum discrédité Avec Mohamed Abdelaziz, l'exercice porte sur tous les points qui rythment la chronologie de l'interminable conflit. Première interrogation à s'inviter sur les lèvres de l'envoyé spécial de «Telquel»: les négociations sont-elles dans l'impasse après les quatre rounds non fructueux de Manhasset (New-York) ? «Non, je ne dirais pas cela, dit le SG du Polisario. Les pourparlers sont toujours en cours, et les différentes parties sont d'accord pour continuer le processus». Le responsable sahraoui va jusqu'à qualifier de «bonne chose» les péripéties actuelles. «Un conflit de ce genre, ayant duré tant d'années, ne peut être réglé qu'autour d'une table de négociations. En tout cas, au sein du Polisario, nous sommes convaincus qu'il ne peut y avoir d'issue militaire à ce conflit, que ce soit en faveur des Marocains ou des Sahraouis». Venant du chef d'un mouvement qui, plus d'une fois, a menacé de reprendre les hostilités, une telle réponse traduit-elle quelque changement de cap dans la stratégie du Polisario ? Rien de tel dans l'esprit de Mohamed Abdelaziz. Le Polisario «n'a jamais dit qu'il voulait régler ce conflit militairement. Ce n'est pas du tout son ambition. Le peuple sahraoui préfère la voie de la paix, c'est-à-dire des négociations. Mais si par malheur l'autre partie nous mettait devant le fait accompli, comme elle l'a déjà fait par le passé, nous serions obligés de répliquer avec les armes pour défendre notre droit à l'autodétermination». Un droit, tient-il à rappeler, «reconnu par la communauté internationale». L'envoyé spécial de «Telquel» enchaîne sur le sentiment de l'envoyé personnel du SG de l'ONU. Estimant récemment que l'indépendance du Sahara occidental était «hors d'atteinte», Peter Van Walsum a invité le Polisario au réalisme. Cette position, ajouté aux déclarations de Washington, de Paris et de Madrid sur le «sérieux» et la «crédibilité» du plan marocain d'autonomie, sonne-t-elle l'isolement du Polisario ? «Pas du tout», répond Abdelaziz d'un ton d'assurance. Outre qu'ils représentent un «avis personnel», les propos de Walsum sont «pleins de contradictions» aux yeux du chef du Polisario. «D'un côté, il dit que la lutte du peuple sahraoui est légitime, et d'autre part qu'elle est irréaliste. C'est insensé». En s'exprimant de la sorte, le représentant onusien s'est décrédibilisé en tant que médiateur, «il s'est lui-même exclu du processus de négociations».
Rabat accorde un couloir au gaz algérien ! Abdelaziz réfute l'idée d'un isolement international. «Il est au contraire dans une situation confortable, très confortable», allusion à la triple affirmation onusienne. Le Conseil de sécurité «a toujours affirmé trois choses essentielles, dans ses rapports: primo, le conflit du Sahara occidental est une affaire de décolonisation. Secundo, les deux parties concernées sont le Maroc et le Front Polisario. Et tertio, tout dénouement doit garantir au peuple sahraoui le droit à l'autodétermination». Inévitable dans ce registre, l'attitude algérienne ressurgit. Le chef du Polisario n'a-t-il pas le sentiment qu'Alger utilise la carte du conflit à des fins de leadership régional ? «Contrairement à l'idée que véhiculent certains, l'Algérie ne nous a jamais rien imposé, ni rien demandé. Quand nous récupérerons notre terre, vous verrez que l'Algérie n'aura aucune vue sur le Sahara, ni sur aucun passage vers l'Atlantique. Si elle le voulait vraiment, elle l'aurait demandé au Maroc, qui ne le lui aurait certainement pas refusé. D'ailleurs, le Maroc le fait déjà, en permettant au gaz algérien de traverser son territoire». Autre question inévitable, les atteintes aux droits de l'homme dans les années 1970 et 1980. Le Polisario se décidera-t-il à répondre à la demande d'Amnesty International sur la «fin de l'impunité dont bénéficient encore» des responsables du front ? Le numéro «un» du Polisario reconnaît que des «dépassements» ont été commis durant cette période, difficulté du contexte oblige. «Nous étions en guerre contre un ennemi qui utilisait des méthodes barbares, enterrait nos combattants vivants, les brûlait vifs. Nous n'étions pas du tout prêts à ce genre de choses. Nous nous adaptions comme nous pouvions pour assurer la sécurité de notre peuple». Abdelaziz avoue que, «parfois, nous nous sommes trompés, mais n'est-ce pas dans la nature humaine de se tromper de temps en temps ? A la fin des années 80, nous avons décidé de tourner cette page en assumant nos responsabilités. Nous avons créé des commissions d'enquête, nous nous sommes excusés auprès des victimes, et nous les avons indemnisées pour clore définitivement ce dossier. Il y a eu un consensus national autour de cette question». Avant de prendre congé du chef du Polisario, l'envoyé spécial de «Telquel» a choisi de l'interpeller sur une question qui rebondit périodiquement dans les colonnes de la presse marocaine. Quel sentiment lui inspire la prise de position de son père, Khalil Rkibi, partisan de la marocanité du Sahara et membre du très officiel Conseil royal consultatif pour les Affaires sahariennes (CORCAS) ? A-t-il l'intention de le rencontrer, de discuter avec lui ? Abdelaziz se contente d'une réponse somme toute expéditive. «Chacun a le droit d'avoir les idées qu'il veut».
Van Walsum discrédité Avec Mohamed Abdelaziz, l'exercice porte sur tous les points qui rythment la chronologie de l'interminable conflit. Première interrogation à s'inviter sur les lèvres de l'envoyé spécial de «Telquel»: les négociations sont-elles dans l'impasse après les quatre rounds non fructueux de Manhasset (New-York) ? «Non, je ne dirais pas cela, dit le SG du Polisario. Les pourparlers sont toujours en cours, et les différentes parties sont d'accord pour continuer le processus». Le responsable sahraoui va jusqu'à qualifier de «bonne chose» les péripéties actuelles. «Un conflit de ce genre, ayant duré tant d'années, ne peut être réglé qu'autour d'une table de négociations. En tout cas, au sein du Polisario, nous sommes convaincus qu'il ne peut y avoir d'issue militaire à ce conflit, que ce soit en faveur des Marocains ou des Sahraouis». Venant du chef d'un mouvement qui, plus d'une fois, a menacé de reprendre les hostilités, une telle réponse traduit-elle quelque changement de cap dans la stratégie du Polisario ? Rien de tel dans l'esprit de Mohamed Abdelaziz. Le Polisario «n'a jamais dit qu'il voulait régler ce conflit militairement. Ce n'est pas du tout son ambition. Le peuple sahraoui préfère la voie de la paix, c'est-à-dire des négociations. Mais si par malheur l'autre partie nous mettait devant le fait accompli, comme elle l'a déjà fait par le passé, nous serions obligés de répliquer avec les armes pour défendre notre droit à l'autodétermination». Un droit, tient-il à rappeler, «reconnu par la communauté internationale». L'envoyé spécial de «Telquel» enchaîne sur le sentiment de l'envoyé personnel du SG de l'ONU. Estimant récemment que l'indépendance du Sahara occidental était «hors d'atteinte», Peter Van Walsum a invité le Polisario au réalisme. Cette position, ajouté aux déclarations de Washington, de Paris et de Madrid sur le «sérieux» et la «crédibilité» du plan marocain d'autonomie, sonne-t-elle l'isolement du Polisario ? «Pas du tout», répond Abdelaziz d'un ton d'assurance. Outre qu'ils représentent un «avis personnel», les propos de Walsum sont «pleins de contradictions» aux yeux du chef du Polisario. «D'un côté, il dit que la lutte du peuple sahraoui est légitime, et d'autre part qu'elle est irréaliste. C'est insensé». En s'exprimant de la sorte, le représentant onusien s'est décrédibilisé en tant que médiateur, «il s'est lui-même exclu du processus de négociations».
Rabat accorde un couloir au gaz algérien ! Abdelaziz réfute l'idée d'un isolement international. «Il est au contraire dans une situation confortable, très confortable», allusion à la triple affirmation onusienne. Le Conseil de sécurité «a toujours affirmé trois choses essentielles, dans ses rapports: primo, le conflit du Sahara occidental est une affaire de décolonisation. Secundo, les deux parties concernées sont le Maroc et le Front Polisario. Et tertio, tout dénouement doit garantir au peuple sahraoui le droit à l'autodétermination». Inévitable dans ce registre, l'attitude algérienne ressurgit. Le chef du Polisario n'a-t-il pas le sentiment qu'Alger utilise la carte du conflit à des fins de leadership régional ? «Contrairement à l'idée que véhiculent certains, l'Algérie ne nous a jamais rien imposé, ni rien demandé. Quand nous récupérerons notre terre, vous verrez que l'Algérie n'aura aucune vue sur le Sahara, ni sur aucun passage vers l'Atlantique. Si elle le voulait vraiment, elle l'aurait demandé au Maroc, qui ne le lui aurait certainement pas refusé. D'ailleurs, le Maroc le fait déjà, en permettant au gaz algérien de traverser son territoire». Autre question inévitable, les atteintes aux droits de l'homme dans les années 1970 et 1980. Le Polisario se décidera-t-il à répondre à la demande d'Amnesty International sur la «fin de l'impunité dont bénéficient encore» des responsables du front ? Le numéro «un» du Polisario reconnaît que des «dépassements» ont été commis durant cette période, difficulté du contexte oblige. «Nous étions en guerre contre un ennemi qui utilisait des méthodes barbares, enterrait nos combattants vivants, les brûlait vifs. Nous n'étions pas du tout prêts à ce genre de choses. Nous nous adaptions comme nous pouvions pour assurer la sécurité de notre peuple». Abdelaziz avoue que, «parfois, nous nous sommes trompés, mais n'est-ce pas dans la nature humaine de se tromper de temps en temps ? A la fin des années 80, nous avons décidé de tourner cette page en assumant nos responsabilités. Nous avons créé des commissions d'enquête, nous nous sommes excusés auprès des victimes, et nous les avons indemnisées pour clore définitivement ce dossier. Il y a eu un consensus national autour de cette question». Avant de prendre congé du chef du Polisario, l'envoyé spécial de «Telquel» a choisi de l'interpeller sur une question qui rebondit périodiquement dans les colonnes de la presse marocaine. Quel sentiment lui inspire la prise de position de son père, Khalil Rkibi, partisan de la marocanité du Sahara et membre du très officiel Conseil royal consultatif pour les Affaires sahariennes (CORCAS) ? A-t-il l'intention de le rencontrer, de discuter avec lui ? Abdelaziz se contente d'une réponse somme toute expéditive. «Chacun a le droit d'avoir les idées qu'il veut».
par S. Raouf 29/06/2008 Le Quotidien d'Oran.
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