Ils sont de plus en plus nombreux les experts, spécialistes et autres intellectuels algériens et étrangers, qui s'interrogent sérieusement sur la nature du régime actuel de la République Algérienne, officiellement encore qualifiée de Démocratique et Populaire. Cette République, assimilée naguère aux régimes socialistes, dont elle avait les caractéristiques de base, même si notre «socialisme spécifique» était essentiellement un socialisme d'Etat, n'est pas encore une République libérale, malgré l'ouverture que nos champs politique, économique et médiatique ont connue depuis 1989. Paradoxalement, depuis 1999, de concession en concession, notre jeune République est en train de prendre allégrement le chemin et d'épouser les formes des républiques islamiques déjà existant dans le monde, dans l'indifférence des uns, encore trop occupés par leur accumulation primitive, qui n'en finit pas et l'impuissance des autres, qui se tirent dans les pieds et ailleurs, au grand bonheur des islamistes récemment convertis à la démocratie et à l'éradication du terrorisme que leur discours haineux a généré. Pour ceux qui douteraient encore, la réalité de la scène politique, actuellement dominée par les partis de la mouvance islamiste, devrait les réveiller, avant qu'il ne soit trop tard. En effet, grâce à une politique sournoise, dont seuls ses auteurs, leurs alliés et leurs complices ont le secret, une défaite militaire de l'islamisme armé a été insidieusement transformée, en quelques années de sape et d'entrisme, en une victoire politique. La Charte pour la paix et la réconciliation nationale, qui s'inscrit dans la droite ligne du contrat de Rome, et qui affranchit les terroristes islamistes des crimes commis contre la nation algérienne, est venue sceller cette victoire «éclatante». Le journaliste-écrivain, d'origine iranienne, Amir Tahiri, un des chantres du Wahabisme, a, dans une opinion publiée récemment dans Al Shark Al Awsat, quotidien saoudien diffusé à Londres, porte-parole attitré (à l'instar d'Al Hayat, autre quotidien saoudien publié à Beyrouth, Al Jazeera TV et Hiwar TV) de l'islamisme mondial, pernicieusement alimenté par l'Arabie Saoudite et Qatar pour entraver les pays arabes qui mènent des réformes politiques et économiques concluantes, qui feraient de l'ombre à leur «modèle» féodal, félicité M. Belkhadem pour avoir réussi là où le FIS et les groupes armés avaient échoué car, selon lui, «il est vraiment difficile de ne pas considérer le gouvernement algérien actuel comme un gouvernement islamiste». En effet, ce n'est certainement pas le «charisme» de leaders islamistes comme Aboudjerra Soltani ou Abdallah Djaballah et encore moins celui des dirigeants d'Ennahda ou du PRA, qui ont été à l'origine de ce «renversement» incroyable, voire même de ce «coup d'Etat», mais plutôt le courant islamiste du FLN, communément appelé «Barbes-FLN», magistralement mené par Abdelaziz Belkhadem, avec la bénédiction des uns et des autres. Pour rappel, M. Belkhadem, fidèle à ses convictions, a été l'un des principaux animateurs du groupe de Sant'Egidio, réuni à Rome, sous l'égide de bénédictins du même nom, pour proposer à l'Etat algérien de signer un pacte de capitulation avec les terroristes islamistes. M. Belkhadem a défendu les «bienfaits» du contrat de Rome lors d'un passage sur le plateau d'Al Jazeera (émission «La direction opposée») contre le cheikh Nahnah, qui avait brillamment démontré l'inanité d'un tel pacte (cette émission mérite d'être revue pour lever certaines équivoques). Le «Qui tue qui ?» lancé par les auteurs du contrat de Rome, et qui a fait tant de mal à notre pays, a été d'ailleurs ressorti à l'occasion des attentats-kamikazes perpétrés à Alger par le GSPC, le 11 avril 2007. Chassez le naturel, il revient au galop. Nourri aux seins du populisme et de la démagogie, qui permettent encore au FLN de dominer la scène politique algérienne alors que la majorité des partis politiques de sa génération (les années 1950), qui étaient au pouvoir dans leurs pays respectifs, ne le sont plus ou ont été carrément laminés par de nouveaux partis, le courant islamiste du FLN paraît confiant concernant l'issue de son combat. Les élections législatives du 17 mai prochain devraient, selon le secrétaire général du FLN, consacrer sa mainmise sur l'Assemblée populaire nationale et, à travers elle, sur le pays. Profitant ostensiblement de la maladie du Président Bouteflika et du fait que la maladie accroît généralement la ferveur religieuse chez le malade, de la division qui existe au sein des forces démocratiques politiques et sociales, à cause notamment du verrouillage des champs politique et médiatique et de la distraction voire même de la démobilisation des forces de sécurité en raison de la paix relative retrouvée, ces dernières années, et de la générosité des politiques de la concorde civile et de la réconciliation nationale, la nébuleuse islamiste s'est reconstituée et tente de s'emparer des principaux leviers de l'Etat algérien. Aujourd'hui, plus que jamais, cette nébuleuse est devenue majoritaire dans la vie politique (4 des 5 principaux partis politiques, qui contrôlent plus de 70% des sièges de l'APN et du Conseil de la nation font directement ou indirectement partie de cette nébuleuse), économique (le bazar et l'économie informelle dominent l'économie algérienne encore essentiellement fondée sur la spéculation et la consommation de biens importés de l'étranger) et sociale du pays (par nécessité économique, obligation familiale ou conviction religieuse, 95% de nos filles et de nos femmes portent aujourd'hui le hidjab. En outre, les barbus, les yeux grimés de khôl et vêtus de kamis commencent à repeupler nos rues). Il faut être vigilant pour ne pas être mis de nouveau au ban de la communauté internationale. En tout état de cause, il faut savoir raison garder et ne pas céder aux pulsions populistes, qui aveuglent et font commettre des erreurs, qui coûtent souvent cher au pays. Tout ce qui est excessif nuit. Certes, notre pays se redresse vite mais il est encore en convalescence et il ne peut pas logiquement se permettre une rechute, c'est-à-dire, d'être de nouveau isolé sur les scènes sous-régionale, régionale et internationale, à cause d'une poignée de populistes, à qui les six sous que le pays a accumulés grâce à une exploitation intensive de nos hydrocarbures, semblent avoir tourné la tête. Il faut être prudent d'autant plus que la montée en puissance de notre pays inquiéterait sérieusement nos voisins, dont certains ne seraient pas à l'abri de bouleversements profonds essentiellement dus à l'exacerbation de leurs contradictions internes. Le contrat d'achat de matériels et d'équipements militaires sophistiqués de la Russie, dans le cadre du remboursement anticipé de notre dette vis-à-vis de ce pays et les excellentes relations que nous entretenons, dans tous les domaines, avec les Etats-Unis d'Amérique et qui ont été, ces derniers temps, chahutés par des déclarations malheureuses de responsables algériens, largement exploitées par tous ceux que dérange ce rapprochement stratégique, patiemment élaboré par Alger et Washington, en sont les principales causes. Il n'y a pas pire que l'imprévisibilité en politique et en diplomatie. La crédibilité, la confiance et le respect mutuel se gagnent par la constance et non pas par l'improvisation. Nos intransigeances, d'un autre âge, sont en train de pousser les Etats-Unis d'Amérique dans les bras du Maroc, après avoir fondé de grands espoirs sur notre pays dont ils connaissent l'importance géostratégique et respectent les principes. La dernière résolution du Conseil de Sécurité sur le Sahara Occidental, dont la mouture initiale, très favorable au Maroc, a été élaborée par les Etats-Unis, constitue un indice sérieux de ce glissement de Washington. Nous ne serions nullement surpris si nous apprenions que le Maroc a été finalement choisi pour abriter le Quartier général du nouveau Commandement américain pour l'Afrique (AFRICOM). Avant même d'être sollicité officiellement par les Etats-Unis, à ce sujet, notre pays, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, s'est précipité à annoncer qu'il refuserait d'accueillir le siège de cette force multinationale, sous commandement américain, essentiellement destinée à la prévention et la résolution des conflits en Afrique et à la lutte contre le terrorisme sur notre continent et notamment dans la région sahélo-saharienne, devenue le fief de groupes terroristes affiliés à Al-Qaïda. Comme d'habitude, le colonel El Gueddafi s'est empressé d'envoyer à Alger M. Abdessalem Triki, son conseiller pour les Affaires africaines et la Coopération, en vue d'élargir davantage la brèche avec les Etats-Unis avec lesquels la Libye vient de normaliser ses relations diplomatiques après un boycott, qui a duré plusieurs années. Il en est de même de nos relations avec la France et l'Espagne, qui se sont ouvertement alignées sur les thèses marocaines au sujet du Sahara Occidental. Pourtant, jusqu'à récemment encore, tout semblait aller parfaitement bien avec ces trois pays (Etats-Unis, France et Espagne) dont l'Algérie est l'un des principaux clients en Afrique et dans le monde arabe et des principaux fournisseurs, en gaz naturel notamment. A mon humble avis, la signature d'un Traité d'amitié avec la France n'aurait pas dû être liée à la question de la repentance, qui n'a même pas été arrachée aux terroristes islamistes. En effet, la signature de l'un n'exclut pas la demande de l'autre, de manière plus diplomatique. Conclusion: A moins d'un sursaut d'orgueil salutaire lors des prochaines élections législatives que les «Barbes-FLN» et leurs alliés islamistes sont décidés à remporter haut la main, les dés pipés sont déjà jetés et ce ne sont pas les enfants adultérins de l'ex-parti unique, intronisés à la tête de leurs partis respectifs, qui pourraient empêcher le raz-de-marée annoncé. La RADP est-elle déjà morte et enterrée ? En tout état de cause, en 2007 ou en 2009, notre pays a et aura besoin de sang nouveau, d'hommes qui ne soient pas prisonniers des pesanteurs du passé et qui ont une vision et une ambition pour notre pays, qui en manque cruellement aujourd'hui pour pouvoir s'inscrire résolument dans les perspectives qu'offre le XXIe siècle, qui commence. Les hommes, périmés, ceux qui ont largement montré leurs limites et dont les ambitions ont coûté cher au pays doivent comprendre cela.
Ahmed Amine -Le Quotidien d'Oran.