La question s’est posée le jour même où le pays a posé ses pieds sur cette terre: qui doit gouverner? Celui qui a pris les armes ou celui qui a pris son temps en attendant 62 ? Celui qui est resté à «l’intérieur» ou celui qui est allé défendre l’Algérie à «l’extérieur»? Celui qui a libéré l’Algérie à partir de l’Algérie ou celui qui l’a libérée à partir du Maroc ou de la Tunisie? Des décennies plus tard, la question est restée la même: qui doit être président? Un civil issu de l’armée? Un militaire déguisé en civil? Un civil 100% qui remonte du peuple? Durant les années 90, le pays s’est posé toujours la question mais autrement: le Pouvoir doit-il avoir une barbe, un fusil, une urne ou le consentement de la majorité? La confusion fut même générale au point où des barbes ont pris les urnes avant de prendre les armes, les armes ont pris de court les barbes en annulant les urnes, les urnes ont pris les armes pour défendre les armes au nom des urnes.
On a eu droit à Boudiaf, un président venu du Maroc qui a pris les armes avant 62 et une briqueterie longtemps après, avant de prendre une balle dans le dos. On a eu Zéroual, un président qui reprit l’uniforme sans les armes et qui a déposé les armes malgré son uniforme. On eut droit à Bouteflika, un civil qui a pris les armes mais qui est déclaré civil avant de se déclarer militaire en prenant le ministère de la Défense au nom des électeurs civils. Est-ce la fin de l’histoire? Non. L’histoire remonte déjà au Turcs avec un Pouvoir confié à des Dey désignés, soutenus, surveillés et payés par des officiers turcs au nom des tribus locales qui n’avaient pas droit d’élire mais le devoir de subir. Aujourd’hui donc, le jour même du 1er novembre, la question se pose toujours sous la même version: qui gouverne? Les gens du savoir-faire composés des ministres, du gouvernement, de quelques partis désignés par un président pour gérer le versant domestique de la nation? Ou les gens du pouvoir-faire qui, selon leur sigle, sont des gens qui peuvent tout faire, composés de gens à qui on ne peut rien faire et qui tiennent le pays debout mais avec les mains sur la tête?
Tout le monde sait, personne ne sait. On peut trancher des têtes mais pas cette question.
En Algérie, tout le monde descend du maquis et tout le monde menace d’y remonter au moindre déséquilibre. La majorité peut avoir tort et elle l’a démontré en 92, mais la minorité peut se tromper et elle l’a prouvé en 92. Des officiers durs avec un Dey faible est une formule qui a provoqué la colonisation du pays. Des officiers durs, sans Dey du tout, ont suffi, dit-on, pour libérer le pays avant de se battre tout autour.
Un Dey fort et des officiers faibles est une formule qui donne un Dey faible à la fin, soutenu par un peuple qui reste fasciné plus par les armes que par les urnes. Sachant qu’un vote libre donne la guerre et qu’un vote interrompu donne la guerre, le problème devient très complexe et nous ramène à la case départ: un civil ne peut pas se passer des militaires pour gouverner, des militaires ne peuvent plus se passer d’un civil pour gouverner, les deux ayant besoin du peuple pour le gouverner, il ne reste que la solution absurde d’un gouvernement du peuple par le peuple. Reste donc la dernière question: peut-on être un peuple civil sans civilisation ?Kamel Daoud
On a eu droit à Boudiaf, un président venu du Maroc qui a pris les armes avant 62 et une briqueterie longtemps après, avant de prendre une balle dans le dos. On a eu Zéroual, un président qui reprit l’uniforme sans les armes et qui a déposé les armes malgré son uniforme. On eut droit à Bouteflika, un civil qui a pris les armes mais qui est déclaré civil avant de se déclarer militaire en prenant le ministère de la Défense au nom des électeurs civils. Est-ce la fin de l’histoire? Non. L’histoire remonte déjà au Turcs avec un Pouvoir confié à des Dey désignés, soutenus, surveillés et payés par des officiers turcs au nom des tribus locales qui n’avaient pas droit d’élire mais le devoir de subir. Aujourd’hui donc, le jour même du 1er novembre, la question se pose toujours sous la même version: qui gouverne? Les gens du savoir-faire composés des ministres, du gouvernement, de quelques partis désignés par un président pour gérer le versant domestique de la nation? Ou les gens du pouvoir-faire qui, selon leur sigle, sont des gens qui peuvent tout faire, composés de gens à qui on ne peut rien faire et qui tiennent le pays debout mais avec les mains sur la tête?
Tout le monde sait, personne ne sait. On peut trancher des têtes mais pas cette question.
En Algérie, tout le monde descend du maquis et tout le monde menace d’y remonter au moindre déséquilibre. La majorité peut avoir tort et elle l’a démontré en 92, mais la minorité peut se tromper et elle l’a prouvé en 92. Des officiers durs avec un Dey faible est une formule qui a provoqué la colonisation du pays. Des officiers durs, sans Dey du tout, ont suffi, dit-on, pour libérer le pays avant de se battre tout autour.
Un Dey fort et des officiers faibles est une formule qui donne un Dey faible à la fin, soutenu par un peuple qui reste fasciné plus par les armes que par les urnes. Sachant qu’un vote libre donne la guerre et qu’un vote interrompu donne la guerre, le problème devient très complexe et nous ramène à la case départ: un civil ne peut pas se passer des militaires pour gouverner, des militaires ne peuvent plus se passer d’un civil pour gouverner, les deux ayant besoin du peuple pour le gouverner, il ne reste que la solution absurde d’un gouvernement du peuple par le peuple. Reste donc la dernière question: peut-on être un peuple civil sans civilisation ?Kamel Daoud
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