Gagner de l'argent, c'est bien. Encore faut-il savoir le dépenser C'est une équation très étonnante. Plus le temps passe, plus l'Algérie développe un discours sophistiqué sur la nécessité d'échapper à la dépendance alimentaire; elle annonce de nouvelles stratégies et met en place des programmes «ambitieux» pour «relever le défi». Mais plus l'Algérie fait des discours sur la question, plus elle s'enfonce dans la dépendance. Sans aller jusqu'au détail, il suffit de mentionner que les importations de céréales vont atteindre un milliard de dollars, et qu'elles risquent d'exploser dans les prochaines années avec la hausse vertigineuse du prix du blé. La pomme de terre, aliment de substitution aux céréales, est elle aussi en pleine crise. La production a sévèrement chuté cette année, à cause d'une mauvaise gestion, non à cause du mildiou. Cette maladie, qui a endommagé la production, a été durement ressenti par les fellahs, mais elle n'a, en réalité, constitué qu'un révélateur d'une crise déjà bien présente. Car la crise de la pomme de terre n'est pas liée au seul mildiou, mais elle relève d'une accumulation d'erreurs et de choix erronés, auxquels s'ajoute l'absence totale d'une politique destinée à encourager la production. Le lait n'est pas en reste. La crise est là, et menace de s'aggraver. Les producteurs menacent de faire grève chaque semaine. Cela a déjà provoqué un sérieux déséquilibre du marché. Des solutions provisoires, sans effet sur la production, ont été mises en oeuvre. Des solutions bureaucratiques évidemment, que les opérateurs menacent de ne plus respecter, tant elles sont précaires et inefficaces. Blé, pomme de terre, lait. Ce sont donc trois produits alimentaires de base de l'Algérien «moyen» qui subissent une crise grave, révélatrice d'une dépendance très dangereuse. En une année, la facture pour ces produits a été multipliée par deux. Les cours continuent de monter, sous la pression d'une forte demande chinoise et indienne, peut-être, mais aussi parce que les pays riches ont mis en place des circuits pour récupérer l'argent qu'ils nous donnent pour acheter le pétrole. Au final, le résultat est le même : l'Algérie est de plus en plus dépendante pour sa nourriture, qui coûte de plus en plus cher. Et dans le même temps, ses capacités de produire diminuent, alors que la demande explose. Ceci ne semble guère gêner un pouvoir algérien, adossé à un baril de pétrole, et détenant près de 100 milliards de dollars de réserves de change. Au rythme actuel, cela représente cinq années d'importation. Il ne sert donc à rien de se presser. En ces temps d'abondance, l'Algérie peut bien faire preuve d'insouciance. Elle a le temps de voir venir. Pourtant, ces réserves de change risquent de ne pas suffire. D'ores et déjà, on sait qu'elles ont perdu près de 30 pour cent de leur valeur, en raison de la chute du dollar. En effet, l'Algérie possède des dollars, mais elle achète en euro. Et plus le dollar baisse, plus le pouvoir d'achat du pays diminue. Parallèlement à cette évolution sur laquelle l'Algérie n'a aucun contrôle, on relève que les produits pour lesquels le pays est demandeur ont tous connu une hausse significative. En plus des produits alimentaires, on peut en effet relever que les matériaux de construction et l'acier, par exemple, ont enregistré eux aussi une hausse vertigineuse. Sans parler des services : l'expertise est devenue une des grandes sources de dépense pour l'Algérie. La construction de l'autoroute Est - Ouest coûtera à elle seule douze milliards de dollars. Ce ne sont donc plus des flots financiers, mais de fleuves. L'argent sort du pays à un rythme effréné. A tout cela, il faudra ajouter le poids des gaspillages, une grande spécialité algérienne, qui atteint des chiffres effrayants. Le barrage de Béni-Haroun a coûté trois milliards de dollars, selon le président Abdelaziz Bouteflika. A la fin des années 1980, une entreprise chinoise avait soumissionné pour le construire. Elle proposait deux cent millions de dollars. Soit quinze fois moins. Quelle que soit l'évolution des prix, la somme de trois milliards de dollars ne peut trouver de justification. Mais plus grave, une fois construit, il s'avère que le barrage en question ne pourra contenir que la moitié des réserves d'eau prévues, et la presse a révélé que certaines installations hydroélectriques sont déjà en panne ! Les difficultés que connaît le barrage signifie qu'en bout de chaîne, il y aura moins de terres irriguées, donc moins de pomme de terre, moins de blé, et donc plus de dépendance alimentaire, etc. On aboutit alors à une autre équation. La conjoncture pétrolière a permis à l'Algérie d'engranger beaucoup d'argent. Mais elle en dépense une partie de manière inutile, irrationnelle, et place l'autre partie dans un système qui provoque une sérieuse détérioration de la valeur de cet argent. En fin de compte, cet argent n'a pas fait le bonheur des Algériens d'aujourd'hui, ni servi à construire l'avenir de ceux de demain. Par contre, il constitue un appât formidable pour attirer toutes sortes de prédateurs, internes et externes. 0 fois lus
par Abed Charef, Le Quotidien d'Oran 04/10/2007
par Abed Charef, Le Quotidien d'Oran 04/10/2007
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