Cela pourrait être une tragi-comédie : celle d'un homme, Abdelaziz Bouteflika qui, depuis 30 ans, court éperdument après une présidence, puis une légitimité électorale qui lui échappe sans cesse en dépit de scores toujours plus élevés.
Le scrutin présidentiel qui s'est déroulé jeudi en Algérie n'a pas failli à cette règle : un taux de participation officiel de 74,11% (90,2% des voix pour le président sortant) quand les médias algériens et étrangers ont tous noté une indifférence sidérale de la population permettant d'espérer au mieux 20% de participation.
On ne peut comprendre cette course obsessionnelle du président algérien sans remonter à un traumatisme personnel survenu, fin 1978, à la mort de son mentor, le président Houari Boumediène. Pétulant chef de la diplomatie d'une Algérie tiers-mondiste, mais déjà verrouillée par le parti unique, Abdelaziz Bouteflika est le confident, autant dire le dauphin naturel du défunt. La police politique va en décider autrement : ce sera Chadli Bendjedid, le début de sa traversée du désert… et l'échec de son premier essai.
Bouteflika, la candidat préféré du « système »
En 1994, la tragédie personnelle laisse place au premier acte de la tragi-comédie. A l'occasion d'une énième crise au sommet de l'Etat, il est pressenti pour jouer le seul rôle qui lui soit imparti : candidat préféré du système. Sa volonté d'obtenir « tous les pouvoirs » et d'être élu triomphalement n'est pas du goût des chefs militaires. Echec du deuxième essai.
Second acte tragi-comique, troisième essai en 1999. L'euphorie pétrolière est loin. Les Algériens ont sombré dans la pauvreté et les violences, initiées après l'annulation en 1992 des élections remportées par les islamistes du FIS, ont déjà fait près de 200 000 morts. Pourtant, porté par des réseaux d'anciens de la Sécurité militaire et d'hommes d'affaires, Abdelaziz Bouteflika est élu comme dans les années 70 : en candidat unique après que tous ses adversaires se soient retirés pour cause de fraude massive annoncée.
La revanche est amère. Mais l'autocrate Bouteflika tisse sa toile politique, sécuritaire et surtout économique. Il place ses hommes dans les rouages de l'administration, installe son clan dans les sphères du pouvoir, érige ses frères, l'un en conseiller et affairiste omnipotent, l'autre en médecin omniprésent.
Le troisième acte de la tragi-comédie algérienne
Troisième acte de la tragi comédie, quatrième essai en 2004 : 58% de participation -30% en réalité - et 83% des votes pour « Boutef ». Les accusations de fraude pleuvent encore, en dépit du joli « coup » des services secrets et des généraux qui auront entretenu l'idée d'une compétition en faisant croire à Ali Benflis, son adversaire et patron du FLN, l'ex-parti unique, qu'il n'était pas seulement un faire-valoir…
Le dernier acte, et cinquième essai, ce 10 avril a sombré dans la mascarade après qu'une révision de la Constitution, adoptée à main levée au parlement, ait permis au président sortant de briguer un troisième mandat pour se succéder à lui même. Toutes les personnalités d'un peu de poids ayant refusé de jouer les lièvres, ce sont cinq candidats « maison » qui ont concouru à ses côtés pour créer l'illusion de la pluralité.
Restait à vaincre la lassitude de la population face à des élections à répétition jouées d'avance et n'ayant jamais le moindre impact sur sa vie. Tâche très improbable au vu de l'incroyable appel lancé par Bouteflika à Guelma :
« Ce qui me préoccupe, c'est l'opinion étrangère et non pas nationale. Ne me faites pas rougir vis-à-vis de la communauté internationale (hamrouli wajhi). Je ne vous demande pas plus que la participation au vote. »
Un rouleau compresseur électoral impressionnnant
Les candidats faire-valoir lui ont emboîté le pas avec un unique programme commun, l'appel à voter, et un consensus : insulter et intimider les partisans du boycott interditsde toute activité publique. La déclaration la plus exotique en la matière aura été celle de la trotskiste Luisa Hanoune lançant sa « malédiction » sur les boycotteurs.
Le ministre des Affaires religieuses dénonçait, lui, l'abstention qui « va à contre-sens des valeurs de notre religion » et demandait aux imams des mosquées d'appeler à voter, après avoir passé ces dernières années à répéter que la mosquée doit échapper aux manipulations politiques.
Mais surtout, Alger a mis en branle un rouleau compresseur électoral impressionnnant : promesses démagogiques à la pelle (augmentation de 50% de la bourse des étudiants, effacement des dettes des paysans et éleveurs) ; débauche d'argent pour organiser des caravanes et arroser des jeunes chômeurs de milliers de dinars pour placarder partout des portraits géants du président-candidat-déjà-élu…
Mais aussi des millions de SMS invitant à voter - un ambassadeur européen en a même reçu ! - ; révision des listes majorant le corps électoral de deux millions d'électeurs ; comités du président-candidat s'apparentant souvent à la pègre locale ; fonctionnaires et policiers sommés de voter ; militaires votant plusieurs fois dans plusieurs communes… Une campagne électorale que résume l'écrivain Boualem Sansal dans une tribune publiée par Le Monde :
« En Algérie, le président autoproclamé fait semblant d'être candidat et les Algériens font semblant de voter. »
D'une vie politique et médiatique fermée à cadenassée
Là s'arrête le vaudeville où Bouteflika, mal élu pour la troisième fois, est néanmoins sûr du silence d'une communauté internationale lorgnant sur les contrats de l'Eldorado gazier algérien.
Là se poursuit une tragédie : celle de millions d'Algériens passés d'une vie politique et médiatique fermée à cadenassée où le pouvoir, contrôlé comme jamais par les services secrets, combat l'émergence de personnalités ou de courants autonomes susceptibles de représenter la société.
Tragédie de syndicats autonomes, hier non reconnus, aujourd'hui réprimés ; de mosquées qui font le plein de fidèles ; de confréries religieuses, les zaouïas, courtisées comme jamais par un pouvoir qui a mené une décennie de sale guerre au nom de la lutte anti-islamiste.
Tragédie d'un pays où la culture de l'émeute violente et quotidienne a pris le pas sur la revendication politique pacifique et où les harragas, ces jeunes qui fuient le pays sur des embarcations de fortune au risque de leur vie, se comptent par milliers.
Pendant ce temps, imperturbable, un Bouteflika usé, affaibli par la maladie, annonce, à 72 ans, l'acte ultime de la mission qui lui a été impartie par le système en 1999 : une amnistie générale qui tirera un trait définitif sur les violences des années 90. La seule manière de garantir au commandement militaire, et aux cadres intermédiaires de l'armée qui y sont impliqués, de n'avoir jamais à rendre de comptes.
Le scrutin présidentiel qui s'est déroulé jeudi en Algérie n'a pas failli à cette règle : un taux de participation officiel de 74,11% (90,2% des voix pour le président sortant) quand les médias algériens et étrangers ont tous noté une indifférence sidérale de la population permettant d'espérer au mieux 20% de participation.
On ne peut comprendre cette course obsessionnelle du président algérien sans remonter à un traumatisme personnel survenu, fin 1978, à la mort de son mentor, le président Houari Boumediène. Pétulant chef de la diplomatie d'une Algérie tiers-mondiste, mais déjà verrouillée par le parti unique, Abdelaziz Bouteflika est le confident, autant dire le dauphin naturel du défunt. La police politique va en décider autrement : ce sera Chadli Bendjedid, le début de sa traversée du désert… et l'échec de son premier essai.
Bouteflika, la candidat préféré du « système »
En 1994, la tragédie personnelle laisse place au premier acte de la tragi-comédie. A l'occasion d'une énième crise au sommet de l'Etat, il est pressenti pour jouer le seul rôle qui lui soit imparti : candidat préféré du système. Sa volonté d'obtenir « tous les pouvoirs » et d'être élu triomphalement n'est pas du goût des chefs militaires. Echec du deuxième essai.
Second acte tragi-comique, troisième essai en 1999. L'euphorie pétrolière est loin. Les Algériens ont sombré dans la pauvreté et les violences, initiées après l'annulation en 1992 des élections remportées par les islamistes du FIS, ont déjà fait près de 200 000 morts. Pourtant, porté par des réseaux d'anciens de la Sécurité militaire et d'hommes d'affaires, Abdelaziz Bouteflika est élu comme dans les années 70 : en candidat unique après que tous ses adversaires se soient retirés pour cause de fraude massive annoncée.
La revanche est amère. Mais l'autocrate Bouteflika tisse sa toile politique, sécuritaire et surtout économique. Il place ses hommes dans les rouages de l'administration, installe son clan dans les sphères du pouvoir, érige ses frères, l'un en conseiller et affairiste omnipotent, l'autre en médecin omniprésent.
Le troisième acte de la tragi-comédie algérienne
Troisième acte de la tragi comédie, quatrième essai en 2004 : 58% de participation -30% en réalité - et 83% des votes pour « Boutef ». Les accusations de fraude pleuvent encore, en dépit du joli « coup » des services secrets et des généraux qui auront entretenu l'idée d'une compétition en faisant croire à Ali Benflis, son adversaire et patron du FLN, l'ex-parti unique, qu'il n'était pas seulement un faire-valoir…
Le dernier acte, et cinquième essai, ce 10 avril a sombré dans la mascarade après qu'une révision de la Constitution, adoptée à main levée au parlement, ait permis au président sortant de briguer un troisième mandat pour se succéder à lui même. Toutes les personnalités d'un peu de poids ayant refusé de jouer les lièvres, ce sont cinq candidats « maison » qui ont concouru à ses côtés pour créer l'illusion de la pluralité.
Restait à vaincre la lassitude de la population face à des élections à répétition jouées d'avance et n'ayant jamais le moindre impact sur sa vie. Tâche très improbable au vu de l'incroyable appel lancé par Bouteflika à Guelma :
« Ce qui me préoccupe, c'est l'opinion étrangère et non pas nationale. Ne me faites pas rougir vis-à-vis de la communauté internationale (hamrouli wajhi). Je ne vous demande pas plus que la participation au vote. »
Un rouleau compresseur électoral impressionnnant
Les candidats faire-valoir lui ont emboîté le pas avec un unique programme commun, l'appel à voter, et un consensus : insulter et intimider les partisans du boycott interditsde toute activité publique. La déclaration la plus exotique en la matière aura été celle de la trotskiste Luisa Hanoune lançant sa « malédiction » sur les boycotteurs.
Le ministre des Affaires religieuses dénonçait, lui, l'abstention qui « va à contre-sens des valeurs de notre religion » et demandait aux imams des mosquées d'appeler à voter, après avoir passé ces dernières années à répéter que la mosquée doit échapper aux manipulations politiques.
Mais surtout, Alger a mis en branle un rouleau compresseur électoral impressionnnant : promesses démagogiques à la pelle (augmentation de 50% de la bourse des étudiants, effacement des dettes des paysans et éleveurs) ; débauche d'argent pour organiser des caravanes et arroser des jeunes chômeurs de milliers de dinars pour placarder partout des portraits géants du président-candidat-déjà-élu…
Mais aussi des millions de SMS invitant à voter - un ambassadeur européen en a même reçu ! - ; révision des listes majorant le corps électoral de deux millions d'électeurs ; comités du président-candidat s'apparentant souvent à la pègre locale ; fonctionnaires et policiers sommés de voter ; militaires votant plusieurs fois dans plusieurs communes… Une campagne électorale que résume l'écrivain Boualem Sansal dans une tribune publiée par Le Monde :
« En Algérie, le président autoproclamé fait semblant d'être candidat et les Algériens font semblant de voter. »
D'une vie politique et médiatique fermée à cadenassée
Là s'arrête le vaudeville où Bouteflika, mal élu pour la troisième fois, est néanmoins sûr du silence d'une communauté internationale lorgnant sur les contrats de l'Eldorado gazier algérien.
Là se poursuit une tragédie : celle de millions d'Algériens passés d'une vie politique et médiatique fermée à cadenassée où le pouvoir, contrôlé comme jamais par les services secrets, combat l'émergence de personnalités ou de courants autonomes susceptibles de représenter la société.
Tragédie de syndicats autonomes, hier non reconnus, aujourd'hui réprimés ; de mosquées qui font le plein de fidèles ; de confréries religieuses, les zaouïas, courtisées comme jamais par un pouvoir qui a mené une décennie de sale guerre au nom de la lutte anti-islamiste.
Tragédie d'un pays où la culture de l'émeute violente et quotidienne a pris le pas sur la revendication politique pacifique et où les harragas, ces jeunes qui fuient le pays sur des embarcations de fortune au risque de leur vie, se comptent par milliers.
Pendant ce temps, imperturbable, un Bouteflika usé, affaibli par la maladie, annonce, à 72 ans, l'acte ultime de la mission qui lui a été impartie par le système en 1999 : une amnistie générale qui tirera un trait définitif sur les violences des années 90. La seule manière de garantir au commandement militaire, et aux cadres intermédiaires de l'armée qui y sont impliqués, de n'avoir jamais à rendre de comptes.
José Garçon RUE 89 10.04.2009
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