A 71 ans, une révision constitutionnelle votée par l'Assemblée lui permettra de briguer un 3e mandat en avril 2009.
C’est à l’issue d’un vote à main levée, dont l’issue ne faisait aucun doute dans un Parlement où l’opposition est quasiment absente, que le changement a été entériné ce mercredi : la République Algérienne Démocratique et Populaire est entrée dans le club des pays où la présidence à vie devient de facto constitutionnelle.
Abdelaziz Bouteflika, qui ne cachait pas en rêver depuis longtemps, a su attendre le moment où les « circonstances » -comprendre les luttes de clans au sommet de l’Etat- lui « permettraient » de réviser la Constitution. Si il a dû batailler ferme et longtemps pour arriver à ses fins, il a su aussi boucler l’affaire au pas de charge : deux semaines à peine se sont écoulées entre l’annonce de la révision, la présentation du projet devant le Conseil constitutionnel et le vote aujourd’hui à l’Assemblée.
L’objectif de cette révision est limpide : donner à Abdelaziz Bouteflika, 71 ans, la possibilité de briguer un troisième mandat en avril 2009 au nom du « droit du peuple de choisir ses gouvernants et de leur renouveler sa confiance » ! Il fallait pour cela supprimer l’article 74 de la loi fondamentale qui limitait à deux le nombre de mandats présidentiels. Ce verrou constituait la seule garantie d’empêcher une présidence à vie dans un pays où la Constitution confère déjà des pouvoirs quasi césariens au chef de l’Etat.
Ce dernier en aura désormais plus encore : les modifications constitutionnelles adoptées mettent tous les leviers de commande entre ses mains. Elles enlèvent notamment tout pouvoir au chef du gouvernement –désormais nommé « Premier ministre“- auquel le chef de l’Etat pourra adjoindre autant de vice-Premiers ministres qu’il le désire...
L'adoption par voie parlementaire, une formalité
L’adoption de cette hyper-présidence par voie parlementaire, et non par voie référendaire comme envisagé à l’origine, a deux raisons : l’impossibilité d’un président malade de mener campagne et surtout la volonté d’éviter une nouvelle déroute électorale, prévisible après l’abstention massive enregistrée lors des derniers scrutins. Un risque inutile quand ‘l’Alliance présidentielle’ -FLN de Abdelaziz Belkhadem et RND de Ahmed Ouyahia notamment- disposent d’une majorité telle à l’Assemblée que le vote était pure formalité...
Le verrouillage total du champ politique aura été l’autre grand allié du chef de l’Etat. Il n’existe en effet aucun débat contradictoire dans le pays, qui vit sous Etat d’urgence depuis seize ans, où l’opposition réelle n’a pas accès à la télévision nationale, se voit systématiquement refuser des salles publiques pour tenir meetings ou réunions et où la majorité de la population n’aspire qu’à respirer au sortir de plus de dix ans de guerre civile et à joindre les deux bouts au moment où la pauvreté s’installe...
Une situation que résume l’ancien chef d’Etat major de la marine, le général Rachid Benyellés, dans une tribune publiée par Le Monde :
« L’Algérie ne produit presque plus rien et importe presque tout. Le secteur productif national public ou privé, de dimension pourtant extrêmement modeste comparé à celui des tout petits pays d’Europe, a été démantelé pour faire place nette aux importateurs. (...) C’est par l’odeur qu’il faudrait qualifier la décennie de M. Bouteflika. Une odeur nauséabonde : celle de la corruption, des scandales financiers, de l’immobilisme, des magouilles électorales, du pourrissement. »
Fruit d'un compromis entre ‘décideurs’ militaires
En réalité les seules incertitudes touchent à la santé du Président, dont le rythme des activités et des apparitions publiques a considérablement baissé depuis qu’il a été opéré officiellement d’un ‘ulcère hémorragique’.
Peu importe d’ailleurs qu’il ait ou non les moyens de mener à terme un troisième mandat. Tous les observateurs estiment qu’il veut seulement rester en poste pour quitter ce monde dans les honneurs de funérailles nationales en présence de ses homologues étrangers...
Il aura dû pour cela imposer ses vues aux ‘décideurs’ militaires. Et il ne l’a pas caché, attribuant notamment le retard pris par son projet aux ‘interférences entre les différents pouvoirs dans la pratique de leurs missions’.
Ces ‘interférences’ appartiennent-elles au passé, qu’elles émanent de ceux qui rechignaient à voir Bouteflika rempiler, de ceux qui jouaient Ahmed Ouyahia -l’actuel Premier ministre très hostile aux islamistes et ‘poulain’ des services de renseignements-, ou qu’elles relèvent de la guéguerre entre le FLN et le RND, les frères ennemis de l’Alliance présidentielle ?
A elle seule, la révision constitutionnelle après plusieurs ajournements indique qu’un compromis a été trouvé. Non sans frais d’ailleurs, puisque même les moins avertis des observateurs ont pu noter une accélération des violences chaque fois que le président algérien remettait cette question sur le tapis...
Une ouverture calculée à la justice internationale
Si on entre là dans les ténèbres du système, tout indique cependant que le chef de l’Etat a imposé sa révision constitutionnelle en jouant sur deux tableaux : faire valoir qu’il demeure le meilleur garant du système et... agiter le spectre des responsabilités des violences de la guerre civile et de celles qui continuent à frapper le pays.
Une tactique imparable quand les ‘décideurs’ militaires en poste pendant la sale guerre de la décennie 90 sont hantés par la perspective de devoir un jour rendre des comptes. La rumeur bien informée veut ainsi que le président algérien ait vu d’un bon oeil l’enquête diligentée par l’ONU après les attentats d’Alger de décembre 2007, qui ont fait 17 victimes parmi le personnel de l’ONU.
Plus explicite encore dans ce pays qui s’est toujours farouchement opposé à toute enquête internationale : l’arrivée dans la capitale algérienne de la commission d’enquête de l’ONU a été largement couverte par les médias publics...
Le chef de l’Etat semble avoir su aussi capitaliser les mandats d’arrêts délivrés en décembre dernier par un juge d’instruction français, qui ont abouti à la relance de l’affaire Mécili. Peu après l’émission de ces mandats d’arrêt, Farouk Ksentini, un proche de Bouteflika, a en effet estimé ‘tout à fait normal que ses assassins soient poursuivis et que le juge français engage une procédure afin de les juger et de les condamner dès lors que le crime a eu lieu sur le sol français’...
Ces ‘messages’, reçus cinq sur cinq par les adversaires du chef de l’Etat au sein du sérail, auront sans doute contribué à enterrer toute idée d’alternance en Algérie. Il ne reste plus désormais à Bouteflika qu’à venir en France avant l’élection d’avril 2009.
La tradition veut en effet qu’une visite officielle à Paris en période électorale algérienne consacre le soutien des dirigeants français, si utile pour s’imposer au sein de la nomenklatura. Une visite dont l’Elysée et le Quai d’Orsay ne cachent pas qu’elle aura bien lieu.
C’est à l’issue d’un vote à main levée, dont l’issue ne faisait aucun doute dans un Parlement où l’opposition est quasiment absente, que le changement a été entériné ce mercredi : la République Algérienne Démocratique et Populaire est entrée dans le club des pays où la présidence à vie devient de facto constitutionnelle.
Abdelaziz Bouteflika, qui ne cachait pas en rêver depuis longtemps, a su attendre le moment où les « circonstances » -comprendre les luttes de clans au sommet de l’Etat- lui « permettraient » de réviser la Constitution. Si il a dû batailler ferme et longtemps pour arriver à ses fins, il a su aussi boucler l’affaire au pas de charge : deux semaines à peine se sont écoulées entre l’annonce de la révision, la présentation du projet devant le Conseil constitutionnel et le vote aujourd’hui à l’Assemblée.
L’objectif de cette révision est limpide : donner à Abdelaziz Bouteflika, 71 ans, la possibilité de briguer un troisième mandat en avril 2009 au nom du « droit du peuple de choisir ses gouvernants et de leur renouveler sa confiance » ! Il fallait pour cela supprimer l’article 74 de la loi fondamentale qui limitait à deux le nombre de mandats présidentiels. Ce verrou constituait la seule garantie d’empêcher une présidence à vie dans un pays où la Constitution confère déjà des pouvoirs quasi césariens au chef de l’Etat.
Ce dernier en aura désormais plus encore : les modifications constitutionnelles adoptées mettent tous les leviers de commande entre ses mains. Elles enlèvent notamment tout pouvoir au chef du gouvernement –désormais nommé « Premier ministre“- auquel le chef de l’Etat pourra adjoindre autant de vice-Premiers ministres qu’il le désire...
L'adoption par voie parlementaire, une formalité
L’adoption de cette hyper-présidence par voie parlementaire, et non par voie référendaire comme envisagé à l’origine, a deux raisons : l’impossibilité d’un président malade de mener campagne et surtout la volonté d’éviter une nouvelle déroute électorale, prévisible après l’abstention massive enregistrée lors des derniers scrutins. Un risque inutile quand ‘l’Alliance présidentielle’ -FLN de Abdelaziz Belkhadem et RND de Ahmed Ouyahia notamment- disposent d’une majorité telle à l’Assemblée que le vote était pure formalité...
Le verrouillage total du champ politique aura été l’autre grand allié du chef de l’Etat. Il n’existe en effet aucun débat contradictoire dans le pays, qui vit sous Etat d’urgence depuis seize ans, où l’opposition réelle n’a pas accès à la télévision nationale, se voit systématiquement refuser des salles publiques pour tenir meetings ou réunions et où la majorité de la population n’aspire qu’à respirer au sortir de plus de dix ans de guerre civile et à joindre les deux bouts au moment où la pauvreté s’installe...
Une situation que résume l’ancien chef d’Etat major de la marine, le général Rachid Benyellés, dans une tribune publiée par Le Monde :
« L’Algérie ne produit presque plus rien et importe presque tout. Le secteur productif national public ou privé, de dimension pourtant extrêmement modeste comparé à celui des tout petits pays d’Europe, a été démantelé pour faire place nette aux importateurs. (...) C’est par l’odeur qu’il faudrait qualifier la décennie de M. Bouteflika. Une odeur nauséabonde : celle de la corruption, des scandales financiers, de l’immobilisme, des magouilles électorales, du pourrissement. »
Fruit d'un compromis entre ‘décideurs’ militaires
En réalité les seules incertitudes touchent à la santé du Président, dont le rythme des activités et des apparitions publiques a considérablement baissé depuis qu’il a été opéré officiellement d’un ‘ulcère hémorragique’.
Peu importe d’ailleurs qu’il ait ou non les moyens de mener à terme un troisième mandat. Tous les observateurs estiment qu’il veut seulement rester en poste pour quitter ce monde dans les honneurs de funérailles nationales en présence de ses homologues étrangers...
Il aura dû pour cela imposer ses vues aux ‘décideurs’ militaires. Et il ne l’a pas caché, attribuant notamment le retard pris par son projet aux ‘interférences entre les différents pouvoirs dans la pratique de leurs missions’.
Ces ‘interférences’ appartiennent-elles au passé, qu’elles émanent de ceux qui rechignaient à voir Bouteflika rempiler, de ceux qui jouaient Ahmed Ouyahia -l’actuel Premier ministre très hostile aux islamistes et ‘poulain’ des services de renseignements-, ou qu’elles relèvent de la guéguerre entre le FLN et le RND, les frères ennemis de l’Alliance présidentielle ?
A elle seule, la révision constitutionnelle après plusieurs ajournements indique qu’un compromis a été trouvé. Non sans frais d’ailleurs, puisque même les moins avertis des observateurs ont pu noter une accélération des violences chaque fois que le président algérien remettait cette question sur le tapis...
Une ouverture calculée à la justice internationale
Si on entre là dans les ténèbres du système, tout indique cependant que le chef de l’Etat a imposé sa révision constitutionnelle en jouant sur deux tableaux : faire valoir qu’il demeure le meilleur garant du système et... agiter le spectre des responsabilités des violences de la guerre civile et de celles qui continuent à frapper le pays.
Une tactique imparable quand les ‘décideurs’ militaires en poste pendant la sale guerre de la décennie 90 sont hantés par la perspective de devoir un jour rendre des comptes. La rumeur bien informée veut ainsi que le président algérien ait vu d’un bon oeil l’enquête diligentée par l’ONU après les attentats d’Alger de décembre 2007, qui ont fait 17 victimes parmi le personnel de l’ONU.
Plus explicite encore dans ce pays qui s’est toujours farouchement opposé à toute enquête internationale : l’arrivée dans la capitale algérienne de la commission d’enquête de l’ONU a été largement couverte par les médias publics...
Le chef de l’Etat semble avoir su aussi capitaliser les mandats d’arrêts délivrés en décembre dernier par un juge d’instruction français, qui ont abouti à la relance de l’affaire Mécili. Peu après l’émission de ces mandats d’arrêt, Farouk Ksentini, un proche de Bouteflika, a en effet estimé ‘tout à fait normal que ses assassins soient poursuivis et que le juge français engage une procédure afin de les juger et de les condamner dès lors que le crime a eu lieu sur le sol français’...
Ces ‘messages’, reçus cinq sur cinq par les adversaires du chef de l’Etat au sein du sérail, auront sans doute contribué à enterrer toute idée d’alternance en Algérie. Il ne reste plus désormais à Bouteflika qu’à venir en France avant l’élection d’avril 2009.
La tradition veut en effet qu’une visite officielle à Paris en période électorale algérienne consacre le soutien des dirigeants français, si utile pour s’imposer au sein de la nomenklatura. Une visite dont l’Elysée et le Quai d’Orsay ne cachent pas qu’elle aura bien lieu.
RUE89 13/03/2009
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